Henri Broch et l’archéologie mystérieuse

Le professeur de biophysique Henri Broch est reconnu aujourd’hui comme sceptique ou plutôt « zététicien » à la française. Pour exercer son sens critique, Broch n’hésite pas à aller sur le terrain et à expérimenter de lui-même toutes les revendications paranormales. C’est ainsi qu’il a déjà pu aborder de façon critique certains dossiers de l’archéologie dite mystérieuse : Atlantide, civilisations oubliées, géants de l’Île de Pâques…

On peut néanmoins constater que Broch n’a pas toujours été critique dans son rapport avec le paranormal, ce qui n’est pas sans incidence sur ses prises de position actuelle. Comme il le reconnaît lui-même : « J’ai moi-même cru (on ne peut pas être « clairvoyant » tout le temps, n’est-ce pas ?) pendant plusieurs années aux phénomènes paranormaux au sens large, c’est-à-dire à tout ce qui relève du domaine attirant du Mystère avec un grand M. » (Broch, 2001, p.23). Un exemple de cette crédulité se perçoit dans son livre-enquête sur La mystérieuse pyramide de Falicon (Editions France-Empire, 1976).

Enquête sous l’emprise de la fascination

Henri Broch a 21 ans, en 1966, quand il débute son enquête sur un monument archéologique aux abords de Nice, la pyramide de Falicon. C’est une des rares pyramides en France dont on faisait remonter la construction à environ 2000 ans (alors qu’elle pourrait dater du début du XIXe, cf. Ungar, 1983). Le caractère unique de ce site inspira les fantasmes d’une foule d’archéoccultistes improvisés, spéculant sur les fonctions du monument : catalyseur d’ondes de forme destiné à alimenter les batteries d’origine extraterrestres, cache d’un Trésor templier, etc. Bien malgré lui, et en parallèle de sa formation scientifique, Broch se fera emporté dans ce mouvement passionnel. Il est alors étudiant en physique et n’a aucune compétence universitaire en archéologie, philologie, histoire, etc. Le livre qui rendra compte de son enquête est écrit avec 10 ans de recul, mais il s’en dégage encore l’impression d’une fascination à l’égard de l’archéologie mystérieuse. Le dossier du continent perdu de l’Atlantide est profondément connu, les mots « mystère » et « énigme » sont employés à tout bout de champ, et la dernière partie du livre est un argumentaire à destination du propriétaire du terrain afin que celui-ci lui laisse faire des investigations plus poussées (à la dynamite !), sur la base d’une légende évoquant un « trésor caché » et un « mystère qui demeure ».

S’il sait déjà se montrer critique envers certaines spéculations folles concernant les pyramides, il s’autorise lui-même à faire des hypothèses extraordinaires pour résoudre certaines énigmes. Ainsi, il défend l’idée que la pyramide et la grotte voisine sont des lieux consacrés au culte de Mithra, un dieu iranien qui, à l’époque romaine, était le pivot d’un culte à Mystères notamment auprès des soldats. Cette idée était défendue à partir d’arguments erronés par des amateurs regroupés à Falicon dans les années cinquante. Broch pensait amener de nouveaux arguments en faveur de cette thèse, en faisant par exemple un rapprochement audacieux entre les sept marches de l’escalier situé dans la grotte et les sept grades de la hiérarchie initiatique de Mithra (p. 153). La numérologie n’est pas loin.

A l’inverse de l’exemple que nous venons de donner, l’analyse de Broch est la plus souvent logique et basée sur des données vérifiables. Il écarte ainsi plusieurs théories qu’il nomme « Universalité pratique, horloge, radiations et autres délires » (p. 115-122). Mais sa prudence et sa rigueur lâchent complètement dans la troisième partie de l’ouvrage intitulée « Un mystère templier » (p. 157-214). Il y reprend une légende qu’il restitue ainsi : « les Templiers qui ont occupé la Bastide connaissaient l’existence d’un souterrain menant à une salle du gouffre et y ont enfoui un butin » (p. 160). Puis il émet l’hypothèse que « les Templiers auraient effectivement habité près de la pyramide » (p.168), ce que contredisait un chercheur contemporain (Jean Carrond) qu’il ne cite nulle part. Après avoir évacué certaines lectures fantaisistes, il crée à son tour de nouveaux mystères pour continuer à faire rêver à propos du site. Son livre se conclut sur ces trois mots : « le mystère demeure » (p. 214).

Le ton légendaire de la dernière partie du livre doit être replacé dans son contexte : il s’agissait de déjouer certains projets immobiliers qui allaient, comme ce fut le cas quelques années plus tard, détruire certains éléments du site pouvant potentiellement contribuer à sa compréhension. Mais est-ce bien normal qu’un scientifique cherche à convaincre avec des légendes lorsqu’il est à court à d’arguments fondés ?

[Pour les personnes intéressées, la pyramide et la grotte de Falicon sont maintenant inscrites comme Monuments historiques et ont fait l’objet de recherches sérieuses d’archéologues professionnels. Cf. le mémoire 2008 l’IPAAM.]

Le passage de la fascination au rejet

Ce livre fut aussi le moyen pour Broch de régler ses comptes avec certains amis aussi passionnés d’archéologie mystérieuse et d’hypothèses extraordinaires (faisant parfois intervenir des extraterrestres) qu’étaient Robert Charroux, Guy Tarade ou Serge Hutin. Comme le révèle son thésard Richard Monvoisin (message #1388 de la liste publique de l’Observatoire Zététique), le jeune Broch ne les accompagnait-il pas pour attendre les extraterrestres sur le site de la pyramide de Falicon ? Le jeune biophysicien a pris ces distances avec ce domaine où s’exerçait sa passion, avant de rejoindre quelques années plus tard le CSICOP français (Comité Français pour l’Etude des Phénomènes Paranormaux) créé en 1979 par Jean-Claude Pecker, où sera formée la nouvelle génération de sceptiques médiatiques français.

Quel lien peut-il y avoir entre les travaux de Broch sur l’archéologie mystérieuse, que des archéologues professionnels qualifient « d’élucubrations » (cf. ici) et ses travaux critiques sur le paranormal ? Comme nous l’avions déjà abordé dans notre article De la croyance au scepticisme, il n’y a parfois qu’un pas entre la croyance militante et le scepticisme militant. Le conflit entre croyances personnelles et formation scientifique peut engendrer une dissonance cognitive dont un mode de résolution est l’inversion de la croyance marginalisante, pour qu’elle soit davantage en conformité avec les opinions ambiantes et donc moins anxiogène. Or, si le contenu des croyances change, le rapport à ce contenu est identique. Les mêmes mécanismes d’un fonctionnement idéologique peuvent se retrouver que l’idéologie défendue soit « paranormale » ou « sceptique » (voir Bronner, 2009).

Encore en 2001 (p. 115-119), Broch est revenu sur son enquête sur la pyramide de Falicon en qualifiant sa démarche d’« assez rigoureuse » et ses affirmations sur le culte romain de Mithra (en oubliant la légende du trésor templier) d’hypothèse « en faveur de laquelle les divers éléments existants témoignent nettement » (p. 116). Il reprend alors ses critiques des hypothèses occultistes de l’époque mais sans faire son auto-critique. Et c’est un élément récurrent dans son discours sur le paranormal : il critique vigoureusement et avec raison des théories pseudo-scientifiques pour prendre ensuite position comme référent scientifique, la distance creusée lui donnant une certaine crédibilité, alors que ses propres théories ne tiennent pas compte des travaux des spécialistes.

Comme nous l’avons constaté, Broch n’approche pas l’archéologie mystérieuse d’une façon absolument rationnelle. Sa passion va-t-elle « basculé » suite à ses déceptions ? Son rapport à l’inconnu a gardé des traces de cette passion sous la forme d’agressivité et de subjectivisme (cf. par exemple son analyse du travail de Bender sur le sang de St Janvier). Son obsession à réduire les phénomènes paranormaux à des croyances d’individus manquant d’esprit critique prend pour référence son propre parcours. Cela peut permettre de comprendre pourquoi certains de ses travaux sur la parapsychologie sont virulents et biaisés (nombreux exemples), sans qu’il accepte de reconnaître ses erreurs en engageant un dialogue véritablement scientifique (voir la lettre à Henri Broch restée sans réponse). En effet, dans le cas où l’hypothèse de la dissonance cognitive est vérifiée, toute ouverture vers le paranormal serait perçu comme une forme de régression à une croyance antérieure supposée abandonnée. La dissonance cognitive sera réactivée par toute possibilité d’un nouveau revirement idéologique, entraînant le rejet et l’absence potentielle de dialogue.

Nous retrouvons malheureusement le même mécanisme psychologique chez de nombreux sceptiques contemporains qui se trouvent être des anciens croyants, fascinés par tout ce qui à trait au paranormal. Une telle approche, qui bascule de la fascination au rejet, ne permet guère un abord rationnel et objectif.

Références

Broch, H. (1976). La mystérieuse pyramide de Falicon. France-Empire Éditions.

Broch, H. (2001). Le paranormal. Ses documents, ses hommes, ses méthodes. Paris : Points Seuil.

Bronner, G. (2009). La Pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent fanatiques. Paris : Denoël, coll. « Impacts ».

Ungar, C. (1983). Nouveaux aperçus sur les origines de la pyramide de Falicon. Mémoires de l’Institut de Préhistoire et d’Archéologie des Alpes-Maritimes. XXV : 73-77

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