Hallucination, suggestion et séances médiumniques

Introduction

Dans cet article, nous allons étudier ce qui nous apparait comme une recherche d’orientation sceptique de qualité. Ce sera également l’occasion de rendre peut-être plus intelligible notre approche en donnant un exemple du type d’approche universitaire sceptique que nous défendons.

Ce travail de recherche a été effectué par Richard Wiseman (département de psychologie de l’université de Hertfordshire, plus axé sceptique) et Matthew Smith (département de psychologie de Liverpool, plus axé parapsychologie scientifique). Il a été publié en 2004 dans le British Journal of Psychology, une revue de psychologie classique. Cet article est disponible en ligne sur le site de Wiseman à cette adresse ou disponible en pdf : Wiseman, Greening & Smith (1999) Belief in the paranormal and suggestion in the seance room.

Une vidéo sur ce type d’expérience est aussi disponible :

Présentation de l’expérience

La qualité de cette recherche provient du fait qu’elle teste, en conditions contrôlées, certaines hypothèses pouvant rendre compte, au moins en partie, de résultats obtenus lors de l’étude de phénomènes réputés paranormaux. Les phénomènes en question concernent les séances médiumniques particulièrement à la mode au début du siècle mais qui sont encore d’actualité. Dans ces séances, des médiums devaient notamment tenter de déplacer des objets par la simple action de la pensée (la psychokinèse).

Lorsque l’on consulte dans le détail les compte-rendus de ces expériences, on constate qu’elles se déroulaient dans des conditions bien particulières : le plus souvent dans la pénombre et durant de nombreuses heures. Il existe une multitude de comptes rendus de ces séances, impliquant notamment de grands scientifiques, qui demeurent difficile à expliquer.

Wiseman et Smith ont donc mis en place un protocole visant à évaluer la pertinence d’informations d’observateurs lors de séances médiumniques. L’hypothèse de Wiseman et Smith est que des personnes qui ont tendance à croire au paranormal verront davantage de phénomènes « paranormaux » qui ceux qui n’y croient pas, et cela selon l’influence de suggestions verbales.

Au cours de deux expériences, Wiseman et Smith ont placé des objets luminescents sur une table. Les personnes de l’assistance (environ 25 personnes lors de chaque séance ; 152 personnes présentes en huit séances, recrutées lors de congrès Fortean Times) sont assises autour de cette table. Elles remplissent un questionnaire concernant leur croyance ou non à certains phénomènes paranormaux. Un faux médium fait ensuite son apparition. Les participants se tiennent la main et observent différents objets placés sur la table tandis qu’ils sont placés dans une semi obscurité. Un système infra-rouge et une caméra vidéo permettent de vérifier ce qui se passe lors de la séance. Certains objets sont bougés par des techniques d’illusionnisme. D’autres ne bougent pas mais le médium suggère oralement que l’objet bouge (la table par exemple). Deux semaines plus tard, les personnes présentent lors de l’expérience reçoivent un questionnaire leur demandant d’indiquer ce qu’elles ont observé lors de la séance. Voyons à présent quels sont les résultats obtenus par Wiseman et Smith.

Résultats de l’expérience

Les résultats indiquent, de façon significative (p=.05), dans la première expérience, que les personnes qui croyaient au paranormal avant la séance ont davantage vu la table bouger (ce qui est le cas de 31% des participants, sachant qu’en réalité la table ne bougeait pas mais que le médium suggérait oralement qu’elle bougeait). De la même façon, 10% des personnes ont vu une sonnette bouger, alors qu’elle n’avait pas bougé et que le faux médium ne suggérait rien. Cette première expérience démontre clairement l’impact de la suggestion orale sur le témoignage des participants.

La deuxième expérience est du même ordre. Elle visait à confirmer les résultats obtenus lors de la première étude. Les résultats sont plus nuancés :

→ pour un tambour qui ne bouge pas avec le faux médium (en l’occurrence Wiseman) ne disant rien : 10% rapporte qu’il a bougé. Pas de relation significative selon que les participants soient croyants ou non (p=.039)

→ pour une sonnette qui ne bouge pas avec le faux médium suggérant qu’elle bouge : 11% des participants disent qu’elle a bougé. Là encore, les croyants ont davantage tendance à modifier la réalité (p=.05)

→ pour une ardoise qui bouge réellement avec le faux médium suggérant qu’elle ne bouge pas : 86% des participent disent que l’ardoise n’a pas bougé. Pas de lien entre le fait d’être croyant au paranormal ou non (p=.92)

→ pour un chandelier qui bouge réellement avec le faux médium ne disant rien : 9% indique que le chandelier n’a pas bougé. Pas de lien entre le fait d’être croyant ou non (p=.35)

Les résultats pour le tambour et la sonnette semblent ne pas confirmer les premiers résultats. Cependant, pour l’ardoise et le chandelier, les résultats obtenus confirment les résultats de la première étude. Le lien entre l’observation et la croyance initiale est également confirmé. Les résultats obtenus suggèrent aussi fortement que les croyants sont plus susceptibles à la suggestion que les non-croyants. La suggestion orale, en fonction des croyances des personnes, pourrait donc avoir un impact important sur la mémorisation d’évènements.

Les résultats de cette étude permettent de s’interroger concernant certains phénomènes rapportés comme authentique lors de séances médiumniques. On remarquera en outre que le questionnaire portait aussi sur différents phénomènes vécus lors de la séance et généralement rattachés à ce type de conditions (changement de température, sentiment d’énergeie, etc.) Il est donc fort probable que ce type de séance induise chez les participants des réactions et des ressentis psychosomatiques. Il est possible qu’il s’agisse de ce type de phénomène que l’on retrouve aussi lorsque des personnes se rendent sur des lieux hantés comme les RIP. On notera aussi que plusieurs participants ont réellement été convaincu d’avoir assisté à des phénomènes paranormaux.

Comme dans tout bon travail de recherche, celui de Wiseman et Smith indique également ses limites. Il est en particulier difficile de déterminer dans quelle mesure les résultats obtenus dans ces conditions peuvent être étendus à d’autres domaines. Le public choisi pour l’expérience est notamment spécifique. Dans des séances spirites, il est probable que les personnes présentes, souvent motivées par la volonté de rentrer en contact avec un proche décédé récemment, soient davantage en prise avec de tels processus. Et cela d’autant plus que dans cette expérience, il n’était pas dit aux personnes qu’ils assisteraient à des phénomènes paranormaux « véridiques ». La question reste alors la suivante : peut-on pour autant réduire l’ensemble des expériences de séances médiumniques à des suggestions verbales, une mémoire « subjective » et la croyance des participants ?

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